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Ces Vélib’ et Vélo’v que la collectivité paye très cher (La Décroissance)

Ces Vélib’ et Vélo’v que la collectivité paye très cher

Article publié dans le mensuel La Décroissance n°42, septembre 2007

« Texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur »

Avant d’abandonner votre fidèle bicyclette pour un Véli’b ou autres Vélo’v parce que « c’est bien pratique », posons la question : sur un vélo JCDecaux, pédalons-nous pour la planète ou roulons-nous pour le capitalisme qui la détruit ?

Pour comprendre l’opération Velib’, 20 000 vélos en « libre-service », qui vient d’être lancée cet été à Paris, il faut remonter au début de la décennie. Depuis 2000, les opérations de contestation de la publicité se sont multipliées en France. Ces actions ont permis de faire comprendre à un certain nombre de personnes que la publicité, loin d’être ce truc ludique et amusant que leur présentaient les publicitaires, est un véritable outil de propagande idéologique, un rouage essentiel de la société de consommation. La publicité fait d’un moyen, la consommation, une finalité, un but en soi. La source de la crise écologique se trouve justement dans ce genre d’idéologie. Les publicitaires se sont inquiétés de ce regain de lu-cité et ont élaboré des stratégies de communication pour y répondre. Ils ont aussi élaboré ces stratégies pour se donner une image écolo.

L’entreprise Jean-Charles Decaux est le numéro n° 2 mondial de l’affichage publicitaire. Son fonds de commerce est la pollution visuelle et la marchandisation de nos paysages. Les panneaux publicitaires Decaux, éclairés 24 heures sur 24, motorisés pour faire dérouler plusieurs affiches, sont les symptômes d’une société folle qui gaspille de manière aberrante à l’heure du réchauffement climatique. La première action d’une politique écologique crédible consisterait à démonter ces dispositifs. Le groupe JCDecaux est une des bêtes noires de l’association Paysages de France qui tente, tel David contre Goliath, de faire respecter, avec des moyens infinitésimaux comparé à ceux des publicitaires, le code de l’environnement. Par exemple, grâce à l’action de l’association, le groupe Decaux a été condamné, le 20 juin 2007, par le tribunal d’instance de Neuilly-sur-Seine pour infraction à la loi protégeant les paysages. Auparavant, le groupe Decaux n’avait pas hésité à réclamer 2 500 euros à Paysages de France.

Face à la montée de la contestation de la publicité en France, le groupe Decaux a conçu les opérations Velo’v à Lyon ou Velib’ à Paris. L’afficheur s’est employé, par ce biais, à se donner une image de protecteur de l’environnement afin de faire face aux critiques, le tout à bon compte, car tout cela est loin d’être « gratuit » pour les municipalités. Le groupe Decaux fournit des bicyclettes en location en échange d’espaces publicitaires. Geoffroy Coomans, conseiller communal centre-droit de Bruxelles, commente ainsi le marché des vélos Decaux dans sa ville : « Je serais tenté de dire que tout cela est une vaste blague. Mais le problème porte aussi sur les abribus, facturés à la ville 10 000 euros pièce, alors que nombre d’entre eux sont occupés par de la publicité dont les revenus vont dans les caisses de JCDecaux. » (Aujourd’hui en France, 22-7-2007). En faisant à la fois payer les municipalités et les annonceurs, Jean-Claude Decaux & fils viennent de se hisser au rang de 5e fortune de France - avec un capital de 5 milliards de dollars - selon le dernier classement du magazine étatsunien Forbes. Radio Bourse FM est la première à aduler les publicitaires : « L’entreprise, créée en 1964, est devenue un véritable empire familial piloté aujourd’hui par les enfants du fondateur. L’aîné des trois fils, Jean-François, 46 ans, préside le directoire et co-dirige l’entreprise avec son frère cadet Jean-Charles, 35 ans. Le "petit dernier”, Jean-Sébastien, 28 ans, fait ses armes à la tête de la filiale JCDecaux Belgique. Quant à Jean-Claude, le patriarche, il n’a pas encore complètement lâché les rènes puisqu’il préside le conseil de surveillance et suit de près le développement du groupe », peut-on lire sur son site Internet.

Greenwashing

Le « développement durable », ça roule pour la famille Decaux. Les municipalités se déchargent de leurs responsabilités en matière de service public sur des entreprises privées. En échange, ces dernières se servent du service qu’elles fournissent, contre rétribution directe ou indirecte, pour redorer leur blason environnemental et défendre leur modèle idéologique. C’est la stratégie du Green-washing (laver vert). Elle consiste à instrumentaliser l’écologie pour en faire un argument de l’idéologie capitaliste. La fondation Nicolas Hulot se montre à la pointe de cette stratégie, en vendant aux multinationales une image verte contre rétribution. Le groupe JCDecaux finance l’animateur de TF1. Celui-ci en retour lui donne son onction dans le rapport d’activités 2004 de l’afficheur en le bénissant ainsi : « De la pédagogie naîtra un meilleur respect pour la nature dans toute sa diversité. L’affichage nous offre une occasion unique d’interpeller le plus grand nombre. » Le capitalisme est une machine extraordinaire pour recycler sa propre contestation.

Aujourd’hui, ce sont les socialistes mais aussi les Verts, généralement issus des classes dominantes des grandes villes, qui sont les premiers à défendre ce type de logique. Le tour est joué. Il ne reste plus ensuite qu’à marginaliser un peu plus leurs opposants en les présentant comme d’éternels pisse-froid : « Décidément, ceux-là ne sont jamais contents, même lorsque l’on offre sur un plateau des bicyclettes alors qu’ils réclament des politiques cyclables depuis des années ! »

C’est aussi un double bénéfice pour certaines municipalités. La majorité lyonnaise Verts-PS, conduite par le très néolibéral Gérard Collomb et le pittoresque Vert Gilles Buna, a pu se donner une image écolo avec les Velo’v tout en ne donnant aucun signe, durant son mandat qui s’achève, de vouloir se confronter au problème de l’automobile en créant des pistes cyclables ou en réduisant des voies de circulation. La correspondante du Monde à Lyon, bien peu suspecte de militan-tisme écologique, le constate dernièrement : « La ville accuse du retard en matière d’infrastructures. Les pistes en site propre sont rares, comme les anneaux de stationnement, et celles balisées par un simple marquage au sol relèvent parfois d’une logique tortueuse. Pour traverser les ponts embouteillés, les cyclistes sont censés emprunter un mince espace de trottoir et contraints de zigzaguer entre piétons et lampadaires » (13-7-2007).

Qu’importe, opération strictement parisienne, les journalistes ont organisé avec ferveur une campagne nationale pour l’opération de communication du groupe JCDecaux. On ne compte plus les articles qui ont été célébrés cet été les Vélib’. Les journalistes ont, une fois de plus, abdiqué toute once d’esprit critique, à l’image d’Alain Constant du Monde : « Le roi de l’été 2007 à Paris, c’est incontestablement lui. Aisément repérable grâce à son petit phare blanc allumé même en plein jour, sa couleur grise et son panier à l’avant, le Vélib’ fait un malheur dans les rues de la capitale depuis le lancement de l’opération, dimanche 15 juillet. Parisiens, banlieusards et, dans une moindre mesure, touristes, tout le monde veut l’essayer » (31-7-2007). Le fait que la publicité soit la principale source de revenu des médias est bien sûr sans rapport aucun. Cela marche d’autant mieux que ces journalistes adhérent au modèle idéologique qui est derrière le système Velib’. Ces vélos hautement technologiques permettent à leurs yeux de « déringardiser » la bicyclette. Cette technologie n’est pas sans poser des problèmes de liberté publique, car elle enregistre tous les déplacements au moyen de puces RFID. Surtout, la simplicité, argument hautement subversif de la bicyclette, est ainsi évacuée.

Le Velib’, c’est tout l’art de maquiller la « petite reine » en racoleuse des trottoirs pour le capitalisme.

Vincent Cheynet

Lien : Le journal La Décroissance



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